samedi 6 avril 2013

Une découverte sans précédent confirme la grande plasticité du cerveau humain.



Des neuroscientifiques polonais et français ont démontré que la spécialisation du cerveau en centres fonctionnels n'est pas forcément une caractéristique innée et qu'elle peut être obtenue grâce à l'apprentissage. Les recherches, qui ont ciblé la capacité du cerveau à lire, ont été publiées le 5 Février dernier dans la revue "Neurology", avec en premier auteur le Dr Marcin SZWED de l'Université Jagellonne à Cracovie et le Dr. Carlos HAMAME de l'Université d'Aix-Marseille.

Les recherches cliniques et l'imagerie par résonance magnétique nous ont appris que le cerveau humain est hautement spécialisé tant d'un point de vue anatomique que fonctionnel. Chaque petite région du cortex - la couche externe du cerveau - est dédiée à une fonction spécifique (mémorisation, vision, langage ...) et peut être considérée comme un micro-cerveau spécialisé dans le traitement d'informations particulières. Cependant, nous ne savons pas si cette spécialisation fonctionnelle du cerveau est génétique, c'est à dire issue de l'évolution de la race humaine, ou si elle peut s'acquérir au travers des expériences de la vie.


"Forte spécialisation neuronale de la région de la forme visuelle des mots permettant la lecture : enregistrements à partir d'électrodes profondes". A : dessins de Déjerine (1891) des lésions d'un patient "ayant soudainement constaté qu'il ne pouvait pas lire un seul mot, alors qu'il peut écrire et lire assez bien. B : localisation du foyer épileptogène chez les deux patients concernés par la recherche.
 


Pour tenter de répondre à cette question, des neuroscientifiques se sont concentrés sur une spécialisation cérébrale qui ne peut pas être innée : la capacité à lire.

Comme l'explique le neuroscientifique français Stanislas DEHANE, auteur des "neurones de la lecture" (Odile Jacob, 2007), "le cerveau humain n'était pas programmé pour être capable de lire. Il était fait pour sentir, parler, entendre, regarder... Mais nous n'étions pas programmés génétiquement pour apprendre à lire". En effet, la capacité à reconnaître des visages, par exemple, est une capacité évolutive ancestrale et innée. "Mais la lecture a été inventée il y à peine 5400 ans : ce n'est pas un temps suffisant pour permettre aux processus génétiques de se développer et de créer un "centre de lecture" dans le cerveau." explique le Dr. SZWED, de l'Institut de psychologie de l'Université Jagellonne à Cracovie et expert en mécanismes de la lecture.

Jusqu'à présent, il était impossible de savoir si la zone du cerveau qui permet à l'Homme de lire, appelée la Région de la Forme Visuelle des Mots ou parfois la "région de Déjerine" (du nom de celui qui l'a caractérisé la première fois), était plutôt spécialisée dans la perception des lettres ou dans la reconnaissance plus générale des objets. La difficulté des recherches est due à ce que la plupart des techniques d'imagerie cérébrale employées n'ont pas été suffisamment précises pour examiner avec certitude cette petite partie du cerveau.

Deux cas exceptionnels au CHU de Grenoble :

La solution à ce problème a été trouvée par hasard à la clinique de neurologie du CHU de Grenoble. Le laboratoire de physiopathologie de l'épilepsie, dirigé par le Pr. Philippe KAHANE, reçoit des patients atteints d'épilepsie grave pour lesquels la chirurgie est nécessaire. Avant de procéder à l'ablation des tissus épileptogènes, des électrodes sont implantées directement dans le cerveau des patients, ce qui permet, à l'occasion de la prochaine crise, de localiser précisément les foyers épileptiques. La méthode s'appelle iEEG pour électro-encéphalographie intracrânienne.

Fait très rare, parmi les dizaines d'épileptiques opérés à l'hôpital, deux patients ont eu leur foyer épileptique diagnostiqué au niveau de la région de Déjerine. L'équipe menée par les Dr. LACHAUX, KAHANE et HAMAME ont persuadé les patients de participer à leur expérience. "J'ai attendu ce moment durant de nombreuses années ! Les électrodes étant situées profondément dans le cerveau, leurs mesures sont beaucoup plus précises que celles des autres techniques utilisées jusqu'à maintenant. Heureusement, les patients ont été très coopératifs" explique le Dr. LACHAUX, directeur de recherche à l'INSERM à Lyon.
A la stupéfaction des scientifiques, les analyses d'iEEG ont montré, contrairement à ce qui était attendu, que les cellules nerveuses de cette zone "réagissaient fortement" et uniquement lorsque le patient voyait un mot, ou une chaîne de lettres. Lors de ces mêmes tests, les cellules ne se sont pas activées au passage d'images de visages, d'animaux, de panneaux de signalisation routière ou de fruits par exemple. Cette expérience démontre ainsi que la région responsable de la reconnaissance des objets s'est modelée pour permettre la lecture. "Au début, je ne pouvais pas croire à ces résultats. Ils démontrent bien que des régions hautement spécialisées du cerveau ne sont pas forcément innées et peuvent être le résultat d'un apprentissage au cours de la vie, et que la plasticité du cerveau humain est encore sous-estimée. Ce travail montre aussi que les techniques d'imagerie cérébrales invasives sont nécessaires pour détecter ces très petites régions fonctionnelles du cerveau" déclare le Dr SZWED.

Ces résultats sont très encourageants et donnent un éclairage supplémentaire quant aux capacités du cerveau à s'adapter. Il faudrait, pour compléter cette étude, tester un individu témoin, par exemple un patient illettré dont le foyer épileptique se trouverait dans la région de Déjerine, sans oublier, entre autres, d'utiliser les mêmes électrodes et les mêmes conditions opératoires. La probabilité de trouver un tel individu est cependant très faible.

C'est certainement à l'aune de cette plasticité cérébrale permanente que l'on prend toute la mesure de ce qu'écrivait l'humaniste hollandais Desiderius Erasmus Roterodamus (1466-1536): "On ne naît pas homme, on le devient."

Source : " Neurology, Mars 2013.

1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Pas de problèmes pour réutiliser les actualités rédigées par le réseau du MAE mais veuillez systématiquement citer l'auteur (ici Vincent GALAND), la source (http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/72719.htm) et suivre les conditions suivantes : http://www.bulletins-electroniques.com/conditions_utilisation.htm

    Merci

    RépondreSupprimer