Des neuroscientifiques polonais et
français ont démontré que la spécialisation du cerveau en centres fonctionnels
n'est pas forcément une caractéristique innée et qu'elle peut être obtenue
grâce à l'apprentissage. Les recherches, qui ont ciblé la capacité du cerveau à
lire, ont été publiées le 5 Février dernier dans la revue
"Neurology", avec en premier auteur le Dr Marcin SZWED de
l'Université Jagellonne à Cracovie et le Dr. Carlos HAMAME de l'Université
d'Aix-Marseille.
Les recherches cliniques et l'imagerie par résonance
magnétique nous ont appris que le cerveau humain est hautement spécialisé tant
d'un point de vue anatomique que fonctionnel. Chaque petite région du cortex -
la couche externe du cerveau - est dédiée à une fonction spécifique (mémorisation,
vision, langage ...) et peut être considérée comme un micro-cerveau spécialisé
dans le traitement d'informations particulières. Cependant, nous ne savons pas
si cette spécialisation fonctionnelle du cerveau est génétique, c'est à dire
issue de l'évolution de la race humaine, ou si elle peut s'acquérir au travers
des expériences de la vie.
Pour tenter de répondre à cette question, des
neuroscientifiques se sont concentrés sur une spécialisation cérébrale qui ne
peut pas être innée : la capacité à lire.
Comme l'explique le neuroscientifique français
Stanislas DEHANE, auteur des "neurones de la lecture" (Odile Jacob,
2007), "le cerveau humain n'était pas programmé pour être capable de lire.
Il était fait pour sentir, parler, entendre, regarder... Mais nous n'étions pas
programmés génétiquement pour apprendre à lire". En effet, la capacité à
reconnaître des visages, par exemple, est une capacité évolutive ancestrale et
innée. "Mais la lecture a été inventée il y à peine 5400 ans : ce n'est
pas un temps suffisant pour permettre aux processus génétiques de se développer
et de créer un "centre de lecture" dans le cerveau." explique le
Dr. SZWED, de l'Institut de psychologie de l'Université Jagellonne à Cracovie
et expert en mécanismes de la lecture.
Jusqu'à présent, il était impossible de savoir si la
zone du cerveau qui permet à l'Homme de lire, appelée la Région de la Forme
Visuelle des Mots ou parfois la "région de Déjerine" (du nom de celui
qui l'a caractérisé la première fois), était plutôt spécialisée dans la
perception des lettres ou dans la reconnaissance plus générale des objets. La
difficulté des recherches est due à ce que la plupart des techniques d'imagerie
cérébrale employées n'ont pas été suffisamment précises pour examiner avec
certitude cette petite partie du cerveau.
Deux cas exceptionnels au CHU de
Grenoble :
La solution à ce problème a été trouvée par hasard à
la clinique de neurologie du CHU de Grenoble. Le laboratoire de
physiopathologie de l'épilepsie, dirigé par le Pr. Philippe KAHANE, reçoit des
patients atteints d'épilepsie grave pour lesquels la chirurgie est nécessaire.
Avant de procéder à l'ablation des tissus épileptogènes, des électrodes sont
implantées directement dans le cerveau des patients, ce qui permet, à
l'occasion de la prochaine crise, de localiser précisément les foyers
épileptiques. La méthode s'appelle iEEG pour électro-encéphalographie
intracrânienne.
Fait très rare, parmi les dizaines d'épileptiques
opérés à l'hôpital, deux patients ont eu leur foyer épileptique diagnostiqué au
niveau de la région de Déjerine. L'équipe menée par les Dr. LACHAUX, KAHANE et
HAMAME ont persuadé les patients de participer à leur expérience. "J'ai
attendu ce moment durant de nombreuses années ! Les électrodes étant situées
profondément dans le cerveau, leurs mesures sont beaucoup plus précises que
celles des autres techniques utilisées jusqu'à maintenant. Heureusement, les
patients ont été très coopératifs" explique le Dr. LACHAUX, directeur de
recherche à l'INSERM à Lyon.
A la stupéfaction des scientifiques, les analyses
d'iEEG ont montré, contrairement à ce qui était attendu, que les cellules
nerveuses de cette zone "réagissaient fortement" et uniquement
lorsque le patient voyait un mot, ou une chaîne de lettres. Lors de ces mêmes
tests, les cellules ne se sont pas activées au passage d'images de visages,
d'animaux, de panneaux de signalisation routière ou de fruits par exemple.
Cette expérience démontre ainsi que la région responsable de la reconnaissance
des objets s'est modelée pour permettre la lecture. "Au début, je ne
pouvais pas croire à ces résultats. Ils démontrent bien que des régions
hautement spécialisées du cerveau ne sont pas forcément innées et peuvent être
le résultat d'un apprentissage au cours de la vie, et que la plasticité du
cerveau humain est encore sous-estimée. Ce travail montre aussi que les
techniques d'imagerie cérébrales invasives sont nécessaires pour détecter ces
très petites régions fonctionnelles du cerveau" déclare le Dr SZWED.
Ces résultats sont très encourageants et donnent un
éclairage supplémentaire quant aux capacités du cerveau à s'adapter. Il
faudrait, pour compléter cette étude, tester un individu témoin, par exemple un
patient illettré dont le foyer épileptique se trouverait dans la région de
Déjerine, sans oublier, entre autres, d'utiliser les mêmes électrodes et les
mêmes conditions opératoires. La probabilité de trouver un tel individu est
cependant très faible.
C'est certainement à l'aune de cette plasticité
cérébrale permanente que l'on prend toute la mesure de ce qu'écrivait
l'humaniste hollandais Desiderius Erasmus Roterodamus (1466-1536): "On ne
naît pas homme, on le devient."
Source :
" Neurology, Mars 2013.
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