Lin J. Yamato a 32 ans et une suspicion de cancer du
poumon. Quel traitement lui recommander, compte tenu de ses symptômes, de son
histoire familiale, de ses préférences mais aussi des progrès récents de la
recherche ? "Même pour un spécialiste, il est devenu extrêmement difficile
de suivre toutes les dernières avancées, souligne Maria Soimu, ingénieure chez
IBM. En particulier en ce qui concerne la recherche contre le cancer."
C'est là que les conseils du superordinateur Watson
de la firme américaine pourraient se révéler précieux.
La machine a appris les subtilités de notre langage pour battre les humains au quiz télévisé américain "Jeopardy !" - dont le principe est de trouver une question à partir de trois réponses. Le champion de notre espèce, vainqueur de 74 parties consécutives, a dû s'incliner devant son nouveau maître en février 2011. Depuis, IBM cherche à exploiter les talents de Watson. Il y a quelques jours, la compagnie présentait ses compétences dans le domaine du conseil médical, dans son centre de recherche européen de Rüschlikon, près de Zurich.
La machine a appris les subtilités de notre langage pour battre les humains au quiz télévisé américain "Jeopardy !" - dont le principe est de trouver une question à partir de trois réponses. Le champion de notre espèce, vainqueur de 74 parties consécutives, a dû s'incliner devant son nouveau maître en février 2011. Depuis, IBM cherche à exploiter les talents de Watson. Il y a quelques jours, la compagnie présentait ses compétences dans le domaine du conseil médical, dans son centre de recherche européen de Rüschlikon, près de Zurich.
Gagner aux échecs contre le champion du monde Garry Kasparov - comme Deep Blue l'a fait en 1997 - est une tâche tout à fait adaptée aux capacités des ordinateurs : il s'agit d'un jeu logique, avec des règles simples qui peuvent être énoncées mathématiquement. Le langage humain, en revanche, est plein d'"information non structurée", relève Maria Soimu. Pour avoir une chance à "Jeopardy !", Watson a dû trouver un moyen de gérer les doubles sens, les jeux de mots, les rimes et autres allusions implicites.
HANDICAP LINGUISTIQUE
Watson a pour lui une mémoire phénoménale :
l'équivalent d'un million de livres dont il n'aurait pas oublié un mot. Ses
processeurs occupent dix compartiments de la taille d'un réfrigérateur chacun
et peuvent réaliser 80 000 milliards d'opérations par seconde. Cette débauche
d'énergie est nécessaire pour surmonter ses handicaps linguistiques en adoptant
une approche statistique. La machine parcourt la matière encyclopédique que ses
concepteurs lui ont fait ingérer et attribue une corrélation aux mots fréquemment
évoqués dans le même contexte. Ainsi, lorsqu'un élément n'est pas explicitement
mentionné, l'ordinateur peut tout de même deviner de quoi il retourne. Il
génère ensuite des hypothèses, dont il évalue la fiabilité.
"Tu as juste besoin d'une sieste. Tu n'as pas
ce trouble du sommeil qui fait somnoler les malades debout." Cette
indication a permis à l'ordinateur d'identifier qu'il était question de
narcolepsie lors de la finale de "Jeopardy !". Les médecins qui
utiliseront peut-être un jour Watson comme conseiller formuleront leurs
requêtes de manière moins allusive. Dans le cas - fictif - de Lin J. Yamato,
l'oncologue soumet le registre médical de sa patiente à l'ordinateur, et les
spécialistes du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center à New York sont en train
de lui faire assimiler toute l'expérience clinique, les cas diagnostiqués et
les publications scientifiques jugées pertinentes.
Watson propose plusieurs pistes de traitement, avec
un niveau de fiabilité bas. Pour affiner sa réponse, il recommande des examens
supplémentaires, dont une IRM. Il prend en compte les souhaits de la patiente,
ainsi que de nouveaux symptômes, avant de recommander une liste de
chimiothérapies. Il évalue la fiabilité de sa première option à plus de 80 %.
L'ÉVOLUTION TOUJOURS PLUS RAPIDE DU SAVOIR REND
L'INFORMATISATION ACTUELLE DE LA MÉDECINE INÉVITABLE
Bref, Watson joue au docteur. "Le rôle du
médecin demeure très important, insiste John Gordon, marketing manager de la
machine. L'ordinateur n'est qu'un conseiller qui a accès à une masse de données
ingérables à l'échelle humaine." Pour Bertrand Kiefer, rédacteur en chef
de La Revue médicale suisse, l'évolution toujours plus rapide du savoir rend
l'informatisation actuelle de la médecine inévitable. "La question est de
savoir jusqu'où la machine peut s'immiscer dans le travail du praticien et dans
sa relation avec le patient, commente-t-il. Cette interaction est extrêmement
importante, d'une complexité qui dépasse ce qu'une machine peut comprendre. Un
patient, par exemple, ne dit pas toujours toute la vérité ou se comporte
différemment selon la personne qui est en face de lui."
A "Jeopardy !", Watson s'est parfois
lourdement trompé. Qu'arrivera-t-il lorsqu'il ne s'agira plus de deviner le nom
d'une ville américaine mais d'une question de vie ou de mort ? "La machine
mentionne les références sur lesquelles elle s'est basée pour formuler ses
hypothèses", répond John Gordon. Le médecin a donc accès aux données -
publications ou autres - qui justifient le traitement proposé par l'ordinateur
et peut donc juger de sa pertinence par lui-même. "L'ordinateur apprendra
aussi constamment des cas qui lui sont soumis et du feedback qu'ils
génèrent", ajoute l'Américain.
"MISE À DISTANCE DU SOIGNANT"
Bertrand Kiefer estime qu'il faut pousser plus loin
la réflexion sur l'emploi des machines dans le champ médical. "Que ce soit
à travers les robots utilisés en chirurgie ou les algorithmes d'analyse
génétique, il y a une mise à distance du soignant, relève-t-il. Le danger est
que l'idéologie de l'ordinateur s'installe. La machine fait beaucoup de choix :
recommander des traitements plus techniques ou prendre plus de risques, par
exemple. Et ce notamment en fonction des paramètres sélectionnés par ses
programmateurs. Mais plus elle devient complexe et plus il devient difficile de
maîtriser ces paramètres. On les oublie."
IBM ne sait pas encore quand Watson sera prêt à se
pencher au chevet des malades. La compagnie travaille aussi sur un moyen de
livrer ses prestations comme un service à distance. Même pour un hôpital, la
machine demeure encombrante et trop chère.
IBM a déjà annoncé vouloir étendre ses compétences
au domaine financier. Le conseil à la clientèle ou le support technique ont été
évoqués, des applications pour lesquelles les facultés communicationnelles de
Watson seront sans nul doute agrémentées d'un flegme naturel.
Source: Le Temps.
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