Très présent dans notre environnement domestique, le
bisphénol A (BPA) est suspecté d'induire des effets hormonaux chez l'Homme. Des
chercheurs de l'Inserm et du CNRS à Montpellier ont étudié au niveau
moléculaire les interactions entre le BPA, ses dérivés et le récepteur des
estrogènes, une de ses principales cibles. Dans cette étude publiée dans PNAS,
les chercheurs décrivent pour la première fois le mode d'action de ce composé à
l'échelle moléculaire et présentent un outil bio-informatique capable à la fois
de prédire son interaction avec le récepteur en 3D, et d'évaluer les liaisons
de potentiels substituts à ce récepteur. Ces résultats permettront à terme
d’orienter la synthèse de nouveaux composés conservant leurs caractéristiques
industrielles mais dénués de propriétés hormonales.
Le bisphénol A (BPA) est un composé chimique qui
entre dans la composition de plastiques et de résines. Il est utilisé par
exemple dans la fabrication de récipients alimentaires tels que les bouteilles
et biberons. On le retrouve également dans les films de protection à
l’intérieur des canettes ou encore sur les tickets de caisse où il est utilisé
comme révélateur. De récentes études ont montré que ce composé industriel
induit des effets néfastes sur la reproduction, le développement et le
métabolisme d’animaux de laboratoires. Le BPA est actuellement fortement
suspecté d’avoir les mêmes conséquences sur l’Homme. La fabrication et la
commercialisation des biberons produits à base de bisphénol A sont interdits
depuis janvier 2011 en Europe. Les études se poursuivent et certaines ont
d’ailleurs déjà mis en évidence des taux significatifs de BPA dans le sang, les
urines et le placenta humain.
Bien qu’il soit considéré comme un perturbateur
endocrinien capable de dérégler certains récepteurs cellulaires en mimant
l’action d’hormones naturelles, son mécanisme d’action moléculaire à l'origine
de ces effets délétères, restait obscur. En associant des approches complémentaires
de biologie cellulaire et structurale, deux équipes montpelliéraines (Unité 896
"Institut de recherche en cancérologie de Montpellier" et Unité 1054 "Centre
de biochimie structurale") ont montré comment le BPA et ses dérivés
interagissent avec le récepteur des estrogènes et modulent son activité.
Les chercheurs ont d’abord montré, par des tests
biologiques, que les régions du récepteur activées par la liaison des
bisphénols A, AF et C diffèrent de celles activées par l’estradiol, l'hormone
qui s'y fixe naturellement. "Ces résultats suggèrent que les bisphénols
pourraient ne pas reproduire tous les effets de l'estradiol dans les différents
tissus ciblés et soulignent l'importance du choix des tests biologiques dans l'évaluation
du caractère "perturbateur endocrinien" des bisphénols",
indiquent Patrick Balaguer et William Bourguet, les deux chercheurs Inserm
principaux auteurs de l'étude.
Pour savoir comment les bisphénols se fixent au
récepteur des estrogènes, ils ont ensuite caractérisé au niveau atomique
l’interaction par cristallographie aux rayons X. Cette technique, qui a recours
à des instruments de pointe tels que le synchrotron ESRF de Grenoble, consiste
à obtenir un cristal de protéines (ici d'1/10ème de mm) à partir des composés à
analyser et de l'éclairer par un faisceau de rayons X afin d'en déterminer sa
structure atomique.
Contrairement aux modèles théoriques conçus à partir
de l'analogie avec la structure du récepteur en présence de l'estradiol, le
résultat issu de l'analyse cristallographique a permis de visualiser en 3D les
structures réelles, très précises du mode de liaison (Figure 1)
bisphénol-récepteur. A partir de ces résultats, les chercheurs ont développé un
outil bio-informatique capable de prédire les interactions entre les bisphénols
et leurs différents récepteurs cibles (récepteurs des estrogènes, des
androgènes et le récepteur apparenté au récepteur des estrogènes g).
"Les résultats de notre étude ainsi que les
outils cellulaires, biophysiques et bioinformatiques que nous avons mis au
point vont permettre d’orienter la synthèse de nouveaux composés conservant
leurs caractéristiques industrielles mais dénués de propriétés
hormonales", expliquent Patrick Balaguer et William Bourguet, directeurs
de recherche Inserm.
"Nous poursuivons actuellement notre travail
pour mettre au jour les structures cristallographiques avec d'autres
perturbateurs endocriniens, tels que les alkylphénols, les pesticides, les
parabènes ou encore les benzophénones, et ainsi étendre notre programme
informatique à ces polluants environnementaux.La mise à disposition de ces
résultats devrait également faciliter l’évaluation du caractère
"perturbateur endocrinien" de l’ensemble des molécules visées par la
réglementation REACH (140 000 composés)", concluent les chercheurs.
Source: Inserm.
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