mercredi 18 janvier 2012

Que faire des médicaments efficaces mais peu rentables?

Le scandale des anticancéreux périmés vendus par la société Alkopharma, basée à Martigny, met au jour une question délicate: dans une logique de rentabilité, que faire des médicaments chers à la production mais rares sur le marché?

Le fabricant de médicaments Alkopharma, implanté à Martigny, est sous le coup de deux poursuites judiciaires: l’une pénale, l’autre administrative.
Le laboratoire français est accusé d’avoir vendu des anticancéreux périmés. Deux de ses filiales françaises, en sus de la maison-mère valaisanne, ont vu leurs activités suspendues en novembre dernier. Une enquête est en cours.
Au cœur de l’affaire se trouve le Thiotépa, un traitement contre le cancer de première génération. Son efficacité, contre la leucémie et le cancer du sein notamment, n’est plus à prouver. Il n’est toutefois que très peu utilisé aujourd’hui par les oncologues, qui lui préfèrent d’autres traitements.
 
Pas prescrit depuis 10 ans
C’est le cas aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). Les chefs des Centres d’oncologie adulte et pédiatrique n’en ont ainsi pas prescrit depuis au moins dix ans.
De son côté, le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) confirme que le Thiotépa est aujourd'hui un médicament «de niche». L'institution vaudoise ne peut malheureusement pas s’exprimer longuement sur le sujet, car l’un de ses experts a été mandaté par Swissmedic dans la plainte pénale en cours.

Pénurie mondiale
La faible demande en faveur du Thiotépa pourrait expliquer l’accusation en cours contre Alkopharma, selon les observateurs: faute de rentabilité, le fabricant a peut-être été réduit à prolonger les dates de péremption de médicaments invendus.
C’est donc, en toile de fond, le problème de la rentabilité de médicaments chers à la production mais peu avantageux sur le marché que met au jour cette affaire.
Une situation régulièrement vécue ces dernières années par Pierre-Yves Dietrich, chef du Centre d’oncologie adulte des HUG: «Actuellement, nous vivons une rupture de stock mondiale de CAELYX, un traitement contre le cancer de l’ovaire. Par le passé, la même situation s’est présentée pour le GM-CSF, un facteur de croissance, et la Procarbazine».

Globalement, sur quelque 150 médicaments régulièrement prescrits en oncologie adulte, les pénuries concernent en général un ou deux traitements, selon le chef de service. La situation n’est donc pas dramatique.

Traitement de 2e choix
Mais les conséquences n’en demeurent pas moins inquiétantes. Ce genre de pénurie pose même des questions éthiques.

La législation affirme ainsi qu’en cas de pénurie de médicaments, il faut chercher des traitements analogues dans les pays qui entourent la Suisse, explique le CHUV, via son service de communication. Une information confirmée par Swissmedic.
Mais cette solution pénalise le patient en raison du non-remboursement en ambulatoire par les assurances de base de ces médicaments étrangers. Et la recherche de médicaments de substitution se révèle parfois fastidieuse: pour l’ensemble des produits fournis jusqu’au mois de novembre par Alkopharma, le CHUV affirme encore chercher des solutions alternatives.

Autre problème: qui dit traitement analogue, ne dit pas similaire: «Face à une pénurie, nous devons parfois prescrire des médicaments qui ne sont pas nos premiers choix, qui comportent par exemple un taux de toxicité plus fort que souhaité, explique Pierre-Yves Dietrich.

Et la loi ne fait rien pour empêcher ce genre de situation. Actuellement, les compagnies ne sont pas contraintes de poursuivre la production de médicaments qu’elles jugent peu rentables, même si les médecins les prescrivent, indique Swissmedic via son Responsable médias, Daniel Lüthi.

Craintes de pénuries futures

Peut-on craindre que le cas d’Alkopharma se répète à l'avenir? C'est une hypothèse, pour le chef du Centre d’oncologie des HUG, qui pointe du doigt le système de «relais de production» actuels.

En gros, lorsqu’un laboratoire renonce à la fabrication d’un médicament, son marché est alors repris par une société plus modeste qui n’aura pas forcément l'envergure nécessaire pour assurer la vente et l’écoulement des stocks, explique Pierre-Yves Dietrich. La conséquence? Des risques de dérives ou de recherches de profits à tout prix.
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Source: La Tribune de Genève

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