A priori, ingurgiter les œufs d'un parasite du porc, n'a rien de très séduisant. C'est pourtant une voie thérapeutique explorée sérieusement contre la sclérose en plaque ou les maladies inflammatoires de l'intestin: maladie de Crohn, rectocolite hémorragique. Un essai commence ce mois-ci aux États-Unis avec les œufs d'un petit ver, Trichuris suis. Dans le tube digestif des porcs, ce ver minuscule est capable de se reproduire, mais ce ne serait pas le cas chez l'homme où il meurt après environ deux semaines. D'où le choix de ce parasite par la société américaine Coronado Bioscience.
Une centaine de patients atteints de maladie de
Crohn devront donc avaler une solution contenant 7500 œufs du parasite dans une
cuillère à café toutes les deux semaines pendant trois mois. La dose a été
déterminée grâce à un premier essai sur 36 malades soumis à des doses
croissantes pour déterminer la meilleure dose efficace sans problème de
tolérance.
Vivre dans un environnement aseptisé
«C'est une idée qui repose sur de nombreux arguments
solides», explique le Pr Pierre Desreumaux, qui dirige l'unité Inserm 995 de
l'université de Lille-2 où se retrouvent des chercheurs en immunologie,
bactériologie, mycologie et nutrition, autour des maladies inflammatoires
chroniques de l'intestin. «Le premier argument est épidémiologique: cela fait
une vingtaine d'années que l'on s'est aperçu qu'il y avait moins de maladies
auto-immunes telles que diabète insulinodépendant (type 1), rectocolite
hémorragique, maladie de Crohn, sclérose en plaque, ou polyarthrite rhumatoïde,
dans les pays où sévissaient le plus de parasites et de maladies infectieuses.»
Comme si, à force de vivre dans un environnement aseptisé, le système
immunitaire de notre organisme, moins agressé qu'auparavant, s'était mis à
s'attaquer lui-même, déclenchant allergies et maladies auto-immunes.
Preuve supplémentaire du poids de l'environnement:
«Dans les pays émergents tels que l'Égypte ou l'Argentine, où il y a eu des
campagnes contre les parasites et une modification du mode de vie vers plus
d'urbanisation, on voit apparaître ces maladies auto-immunes qui n'existaient
pratiquement pas», remarque le Pr Monique Capron, professeur d'immunologie à
l'université de Lille-2.
Dans le monde, on estime que 3,5 milliards
d'individus hébergent des parasites intestinaux mais dans les pays développés,
l'infestation est devenue plus rare. En 1910, une étude menée sur les lycéens
de Géorgie retrouvait des vers intestinaux pour 65 % d'entre eux. En 1980, ils
n'étaient plus que 2 % à en avoir. En Corée du Sud, la présence de vers chez les
enfants est aussi passée de 75 % en 1969 à 0,02 % en 2004 alors que dans le
même temps quadruplaient les cas de rectocolite hémorragique.
Paradoxalement, d'un point de vue immunologique, un
parasite ne serait donc pas toujours une mauvaise chose pour celui qui
l'héberge. C'est le deuxième argument en faveur de cette approche thérapeutique
originale. Mais le véritable baptême du feu pour l'approche parasitaire dans le
traitement des maladies immunologiques date de 2005, lorsque l'Américain Joel
Weinstock, aujourd'hui à la tête du centre médical Tufts à Boston (États-Unis),
parvient à obtenir une rémission pour 21 patients sur 29 atteints d'une maladie
de Crohn, grâce à l'administration des œufs de parasite de porc.
Convaincre les patients
Comment les parasites réorientent-ils le système
immunitaire? «Les parasites coexistent avec leurs hôtes humains et animaux
depuis des centaines de millions d'années, répond le Pr Capron, certains
parasites comme les schistosomes peuvent même vivre une quarantaine d'années
chez un être humain infecté, on comprend qu'ils aient induit des mécanismes
d'immunorégulation, leur permettant d'être tolérés aussi longtemps.» Mais la
chercheuse reste sceptique sur les essais avec des parasites vivants. «Le
risque que le parasite se développe néanmoins ou induise des conséquences
pathologiques chez certains patients receveurs n'est pas totalement à exclure
cependant que la production en masse et reproductible d'œufs de parasites est
loin d'être aisée.» Même prudence du Pr Desreumaux: «Une parasitose
intestinale, ce n'est pas grave mais si les parasites vont au poumon ou au
cerveau, c'est autre chose.»
Sans compter qu'il faudra convaincre les patients
d'ingurgiter des parasites. Pour éviter ces problèmes, l'idéal, selon elle,
serait d'identifier les molécules parasitaires responsables de l'effet
bénéfique sur le système immunitaire. On pourrait alors les produire de manière
contrôlée et sans risque pour l'individu.
Un patch de larvescontre la sclérose en plaques
Depuis le début de cette année, l'université de
Nottingham (Royaume-Uni) recrute 70 patients atteints de sclérose en plaques
pour leur proposer d'accueillir quelques parasites dans leur organisme.
Des malades qui ne doivent pas être rebutés par
l'idée de cohabiter avec des parasites vivants. Il s'agit en effet d'un patch
cutané de 25 larves microscopiques de Necatoramericanus. Après avoir traversé
la peau, les larves doivent se glisser dans la circulation sanguine, gagner les
poumons, puis s'installer dans le tube digestif. Même si un réel espoir
d'amélioration de la maladie neurologique existe, l'étude fait un peu
frissonner lorsque l'on sait que les patients bénéficieront de prises de sang
régulières afin de s'assurer qu'ils n'ont pas d'anémie, un des signes d'une
infestation trop importante. Necatorpeut en effet entraîner une vraie maladie
chez l'homme, l'ankylostomose. Dans ce cas, un traitement antiparasitaire
serait aussitôt initié, rassurent les experts anglais. En dépit du
développement de plusieurs essais du même type, l'innocuité reste à démontrer
s'agissant de parasites vivants.
Source: Le figaro.
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