Le bulbe olfactif est une partie du
cerveau qui assimile les impressions sensorielles envoyées par les nerfs
olfactifs et les transmet au télencéphale
Sous la direction de Kirsty Spalding et
Jonas Frisen de l'institut de Karolinska (Stockholm), une équipe composée de
chercheurs suédois, français et autrichiens a enquêté sur l'âge des cellules
nerveuses du bulbe olfactif de 15 personnes autopsiées à Stockholm. Samuel
Bernard, un mathématicien français, a également participé à l'étude. L'âge de
ces cellules a pu être daté grâce à l'aide de traces de carbone 14 (C14)
radioactif.
Le carbone 14 est formé naturellement dans
l'atmosphère terrestre, à partir des rayons cosmiques, par un processus
constitué de deux étapes. Il est souvent utilisé dans les datations
archéologiques grâce à sa période de demi-vie de 5.730 ans. Cependant, les
tests nucléaires, intenses durant la guerre froide, ont provoqué, de 1950 à
1963, une hausse dramatique de C14 dans l'atmosphère. Le 10 octobre 1963, le
Nuclear Test Ban Treaty (Traité d'interdiction partielle des essais
nucléaires), visant à interdire tout essai nucléaire dans l'atmosphère, dans
l'espace extra-atmosphérique et sous l'eau, est entré en vigueur après avoir
été signé à Moscou entre les Etats-Unis, l'Union Soviétique et le Royaume-uni.
Par la suite, la quantité de C14 a donc diminué dans ces différents milieux.
Pour déterminer la date de naissance des cellules
nerveuses, les chercheurs ont comparé les parts de C14 dans les cellules
nerveuses aux valeurs connues des mesures de C14 dans l'atmosphère. Dans le
bulbe olfactif humain, on trouve quelques millions de cellules nerveuses qui
peuvent être marquées par un colorant fluorescent leur permettant d'être
distinguer des autres cellules.
Sur un billion d'atomes C12, on ne trouve qu'un seul
atome C14. Bien que l'ADN d'une cellule soit constitué de plus de trois
milliards de pair de base et d'encore plus d'atomes de carbones, il faut en
moyenne réunir l'ADN de dix cellules pour pouvoir mesurer un seul atome C14.
Afin de mesurer de si petites quantités, l'accélérateur à particule VERA
(Vienna Environmental Research Accelerator), qui permet de détecter et compter
des atomes C14 isolés, a été utilisé.
VERA permet d'analyser la teneur des échantillons de
C14 en microgrammes, unité indispensable à la mesure d'une région du cerveau
aussi petite. Ses analyses ont principalement été effectuées par Jakob Liebl,
(ancien étudiant de physique technique de l'université technique de Vienne),
sous la direction de Walter Kutschera (professeur émérite de l'institut de
recherche isotopique et de physique nucléaire de l'université de Vienne) et de
Peter Steier (professeur-assistant de recherche isotopique et de physique
nucléaire de l'université de Vienne). Par l'analyse de cinq à dix millions de
cellules d'un bulbe olfactif, des milliers d'atomes C14 peuvent être perçus, ce
qui permet d'avoir des résultats statistiquement fiables.
Le C14 incorporé dans l'ADN, permet d'évaluer l'âge
des cellules en mesurant la quantité d'isotopes qu'ils contiennent . Ainsi, les
chercheurs ont constaté que les neurones du bulbe olfactif des sujets humains
adultes avaient des niveaux de C14 correspondant à ceux de l'atmosphère au
moment de leur naissance. Les cellules nerveuses furent, dans les 15 cas, aussi
âgées que les personnes examinées. Elles étaient donc déjà présentes au complet
à la naissance. Cela indique qu'il n'y a pas de production significative de
nouveaux neurones dans cette partie du cerveau, contrairement aux autres
mammifères.
D'un point de vue statistique, moins d'1% des
cellules nerveuses est renouvelé en cent ans, contre une cellule sur deux chez
les rongeurs. Pour l'ensemble de toutes les autres cellules du bulbe olfactif
chez l'homme, Jakob Liebl a trouvé un infinitésimal taux de renouvellement de 2
à 3,4% par année.
Ces résultats furent accueillis avec surprise: il
était attendu qu'à cet égard les êtres humains soient similaires aux autres
mammifères, aux grands singes notamment. En effet, même s'il a longtemps été
cru que tous les neurones du cerveau étaient formés à la naissance puis que la
production s'arrêtait, un changement de paradigme s'était opéré lorsque des
scientifiques eurent trouvé que les neurones de certains mammifères se
renouvelaient continuellement à partir de cellules souches. Chez les mammifères
adultes, de nouvelles cellules nerveuses sont en effet formées dans deux
régions du cerveau : l'hippocampe (rôle essentiel à jouer dans la mémoire) et
le bulbe olfactif (rôle essentiel dans l'interprétation des odeurs). Par suite,
les vues scientifiques sur la plasticité du cerveau ont été modifiées,
engendrant l'espoir d'être en mesure de remplacer les neurones perdus au cours
de certains types de maladies neurologiques.
Jusque là, en raison de la difficulté d'étudier la
formation de nouveaux neurones chez l'homme, la mesure dans laquelle ce
phénomène se produit dans le cerveau humain était restée incertaine. On sait à
présent que les neurones du bulbe olfactif ne se renouvellent pas - ou que très
peu - chez l'homme. Selon l'équipe, cette différence s'explique par la
dépendance plus faible des êtres humains au sens de l'odorat pour leur survie,
comparée à nombreux autres animaux. Cela aurait mené vers une évolution correspondant
à une perte de la production de nouvelles cellules dans le bulbe olfactif.
Les résultats de cette étude demeurent importants
pour la médecine : sachant que la perte de l'odorat est un symptôme récurrent
et concomitant d'une future maladie neuro-dégénérative telle qu'Alzheimer ou
Parkinson, il est vraisemblable que ce type de maladie soit en relation avec
une régénération très réduite des cellules nerveuse du bulbe olfactif adulte.
La découverte a été publiée dans la revue
scientifique " Neuron ".
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